L'Islam en Guinée : Fouta-Djallon ( V )

Chapitre IV

Les Tidiania Toucouleurs de Dinguiraye

Il est impossible d'aborder l'étude de l'Islam foula, proprement tidiani, sans la faire précéder de celle du Tidianisme toucouleur de Dinguiraye dont il dérive en droite ligne.

I
Al-Hadj Omar et sa famille à Dinguiraye.

On connaît par différents auteurs et notamment par Faidherbe, Mage et M. A. Le Chatelier, l'installation d'Al-Hadj Omar à son retour de la Mecque dans le Dinguiraye désert, entre les territoires de Tamba (Dabadou) au nord de Wontofa (Satadougou) et de le Oulada (Kouroussa) à l'est; et de Toumaneya, au sud, qui constituaient les états fétichistes du Diallonké Guimba Sakho.
Il construisit son tata et s'implanta solidement dans le pays (1845-1850) tant par la religion que par les armes et la politique. C'est d'ailleurs, d'après la tradition rapportée par M. Delafosse, la conversion d'un des envoyés de Guimba, Diéli Moussa, suivie du refus d'Al-Hadj Omar de rendre à son maître païen ce néo-musulman qui s'attachait à sa fortune, qui détermina la rupture des bonnes relations entre le souverain de Tamba et son vassal toucouleur et entraîna la chute de Guimba. Les Diallonké, commandés d'abord par Guimba, puis par son fils Tamba Bakari, furent exterminés, chassés ou soumis. Entre-temps,
Al-Hadj Omar attirait à lui les Foula, et étendant peu à peu le champ de ses opérations, entamait cette magnifique épopée toucouleure, qui est la plus grande geste de l'Afrique noire au dix-neuvième siècle. Il fit à plusieurs reprises des séjours dans le Fouta-Diallon. Il était déjà venu dans le Labé entre 1820 et 1825 et s'y était acquis à Satina, comme Karamoko, une certaine popularité. Il sillonna le Fouta à son retour du pèlerinage, accueilli tantôt avec faveur, tantôt froidement par les almamys, plus ou moins jaloux, mais demeurant toujours l'objet de la vénération de la foule.


Généalogie de Al-Hadj Omar Tall

On montre encore dans le Kolen et le Koïn plusieurs vieillards qui, nés lors de son passage, portent le nom d'Oumarou en son honneur. il fit un séjour de plusieurs mois à Timbo, vers 1850, donnant des conférences littéraires et religieuses qui eurent le plus grand succès auprès des Karamoko Foula. La légende prétend même que c'est en partie sur ses conseils que l'institution des deux almamys, régnant deux ans chacun à tour de rôle, fut créée à Timbo. Si la chose est vraie, elle témoigne que ce terrible autoritaire qu'était Al-Hadj Omar savait donner aux gens qu'il voulait affaiblir les conseils les plus perfides.
L'intransigeance religieuse que le marabout affecta au Fouta-Diallon, comme partout d'ailleurs, du moins quand cette attitude était opportune, lui valut un prestige considérable. Il commença, dès lors, à distribuer sans arrêt son wird tidiani, principalement aux petits Karamoko, bas clergé qui fait l'opinion de la foule. Il entreprenait en même temps une campagne de propagande, supérieurement menée, pour détacher les Foula de leurs almamys et en attirer le plus grand nombre possible, personnes et troupeaux, dans son état de Dinguiraye. Il devait atteindre pleinement son but. Les Foula du Koïn et de Timbo lui fournirent de nombreux contingents et le ravitaillèrent sans arrêt, dans sa lutte contre les fétichistes diallonké. Puis beaucoup vinrent chercher de nouveaux pâturages dans le pays. Pendant ce temps, le wird tidiani d'Al-Hadj Omar se répandait dans tout le Fouta Diallon, prenant insensiblement la place de l'antique Qaderisme. Dès 1888, M. A. Le Chatelier signale que « ses doctrines ont presque partout supplanté les traditions des Qadria ».

 

Sabre d'Al-Hadj Omar

 

Bijoux d'Al-Hadj Omar

Le Fouta-Diallon fut entraîné dès ce temps (1845 à 1855) dans l'orbite omarienne, et le grand conquérant put courir à son destin. Jamais les fidèles, tenants de sa bannière religieuse, frères au surplus par les caractères ethniques et la langue, ne l'abandonnèrent.
Dinguiraye devient dès lors, encore qu'en dehors du Fouta proprement dit, une de ses plus importantes villes religieuses, et tout étudiant foula de cette génération se croit obligé d'y venir suivre quelque cours de droit ou de théologie, ou tout au moins le s'attacher quelque temps un de ces multiples missionnaires toucouleurs, qui, sur l'ordre des almamys de Dinguiraye, parcourent sans cesse le Fouta-Diallon, prêchent à la fois la bonne parole islamique et la meilleure des confréries, à savoir le Tidianisme Omari. En quittant le Dinguiraye (vers 1863), Al-Hadj Omar en laissa d'abord le commandement à son fidèle serviteur (Diawandho), Ousman Samba.
Celui-ci fut remplacé vers 1861 par l'un des fils d'Al-Hadj Omar, Habibou. En 1868, Habibou révolté contre Ahmadou, chef de la dynastie, marche contre lui à Nioro, mais est vaincu et fait prisonnier. ll meurt quelque temps après dans les fers. Habibou est le père du chef actuel de Dinguiraye. ll a laissé dans le pays la réputation d'un almamy cruel et pillard.


Ahmadu Shayku, sultan de Ségou

Saïdou, frère consanguin d'Aguibou, lui succéda en 1868. Il périt en 1875, avec nombre des siens, à Nora (Siguiri), dans une expédition contre les Malinké fétichistes. ll fut juste, doux et fort aimé par ses sujets.
ll fut remplacé, après un court commandement de Mobassirou, par Aguibou, frère germain de Saidou. Aguibou, almamy apprécié de tous, Blancs et Noirs, exerça le pouvoir de 1876 à 1892. C'est sous son règne que le premier officier français, Obersdorf, envoyé par le gouvernement du Soudan, entama les premières relations diplomatiques qui devaient aboutir à la constitution du protectorat français sur le Dinguiraye (mars 1887).
Appelé en 1892 par la confiance du colonel Archinard au commandement du Macina, Aguibou partit pour Bandiagara, laissant le pouvoir à son second fils Alfa Maki. L'aîné, Madani, accompagnait son père à Bandiagara.


Palais de Ahmadu Shayku, à Ségou

Alfa Maki Tall lui succéda; c'était un homme intelligent et dévoué, comprenant bien le français, très actif. Ses qualités de petit-fils d'Al-Hadj Omar, et de détenteur de ses livres, ainsi que des cheveux du Prophète, lui assuraient un prestige considérable. Malheureusement ses intrigues et exactions contraignirent l'autorité française à le suspendre pour trois mois de ses fonctions, en mars 1899, puis à le mettre en état d'arrestation le 2 juin 1899. Il fut déporté à Siguiri, puis à Bamako, et enfin à Bandiagara, où il resta sous la surveillance de son père. ll devait se racheter par la suite et nous rendre, chez les Toucouleurs du Macina d'excellents services. Il est mort en 1915.
A cette date de
1899, la charge d'almamy du Dinguiraye est supprimée; les états de Dinguiraye sont constitués en un cercle, qui entre dans la nouvelle organisation du territoire, est détaché du Soudan, et est incorporé à la Guinée (octobre 1899).
L'administration du nouveau cercle fut désormais assurée directement du chef-lieu du cercle avec le concours de chefs locaux et notamment pour Dinguiraye :

  • Ibrahima Touré (1899-1901)

  • Alfa Abdoulaye ( 1901-1903)

  • Alfa Malian (1903-1910)

Il fallut revenir à une plus saine conception des choses et restaurer le commandement sur des bases plus rationnelles. L'ancien Etat de Dinguiraye fut partagé en cinq provinces; dans quatre d'entre elles où l'élément toucouleur domine, sinon toujours par le nombre, du moins par l'influence spirituelle et le prestige religieux et scientifique, le commandement fut confié à des Toucouleurs. La cinquième, le Missirah, peuplée surtout de Malinké, reçut un chef de cette race (1911).
L'affiliation tidiania des marabouts de Dinguiraye, et par eux, des Karamoko du Fouta, est des plus simples. Elle dérive du
wird qu'Al-Hadj Omar, quittant Dinguiraye, conféra avec pouvoir de transmission à deux de ses talibés: Tafsirou Mamoudou de Dinguiraye, Tafsirou Aliou de Tamba, et que par la suite Ahmadou Chékou, fils et successeur d'Al-Hadj Omar, conféra à son frère Aguibou, qu'il nommait almamy de Dinguiraye. Par eux le wird se répandit dans toute la moyenne Guinée. Le cérémonial usité pour cette initiation consistait en une poignée de main que le maître donnait au disciple, et qui se prolongeait pendant le temps de la lecture des oraisons par le Cheikh et de la récitation du zikr tidiani par le mouride.
De la même source, mais par un autre mode de transfert assez curieux, dérivent un grand nombre d'initiations tidiani du pays. Entre 1888 et 1890, au moment où les luttes entre
Samory et Ahmadou Chékou battaient leur plein, le terrible Ouassoulounké coupa pendant plusieurs années les communications entre Dinguiraye et Ségou. Les Toucouleurs de Dinguiraye qui devaient chaque année aller faire le pèlerinage de Ségou, au moment des fêtes de la Tabaski, y communier dans la consommation de la viande du mouton et se faire renouveler le wird — tous moyens religieux pour les maintenir dans l'orbite politique — se trouvèrent privés de ces secours spirituels, et par la plume d'Aguibou demandèrent conseil à Ahmadou Chékou et lui adressèrent leurs excuses. Le Sultan toucouleur de Ségou lui répondit par une lettre restée classique dans les annales du Dinguiraye. Après quelques exhortations bien senties, il conféra officiellement le wird de sa voie à toutes personnes qui entendraient la lecture de la lettre et le renouvelait à ceux qui l'avaient déjà. L'almamy Aguibou fit aussitôt donner lecture de cette lettre à la Grande Mosquée, le vendredi qui en suivit la réception.


Mosquée d'Al-Hadj Omar à Dinguiraye en 1915

Cette lecture se renouvela plusieurs fois de suite et attira bientôt une foule considérable qui, par le fait même, se trouva nantie de l'affiliation à la Voie tidiania.
En dehors de leurs talibés toucouleurs et foula de Dinguiraye, les almamys du lieu n'eurent personnellement que très peu de disciples dans le Fouta. Ils n'aimaient pas abaisser leur prestige à conférer eux-mêmes des initiations à l'extérieur, ou paraître faire de la propagande ; c'est par leurs missionnaires que leur action s'exerçait.
Il n'y a donc à signaler, en dehors de Dinguiraye, que quelques rares personnalités foula, relevant directement de l'almamy Aguibou. La plus importante est Tierno Amadou, Foula timbonké, né vers 1840 à Tangali, habitant Kouratongo, dans le groupement de Kouné, province de Kolle (Diiwal de Koïn); c'est un marabout instruit et estimé dans la région. Il dirige une florissante école coranique.

II
Le cercle de Dinguiraye (1916).

Le cercle de Dinguiraye comprend aujourd'hui 10.000 kilomètres carrés.
Le peuplement est surtout Foula. Il y a pourtant, au moins dans trois provinces (Dinguiraye, Loufa, Tamba) une grande proportion de Toucouleurs appartenant dans l'ordre décroissant aux groupements Guenar, Yirlabhe, Toro. Ils sont moins nombreux dans le Baïlo. La cinquième province, la Missirah, sise à l'extrême-nord du cercle, est peuplée de Malinké et fut commandée par un des leurs, Mori Kaba, qui a été révoqué en 1915.
Le tableau du commandement et de fractionnement de Dinguiraye s'établit ainsi :

Province de Dinguiraye

Amadou Habibou

10.944 habitants

Province de Loufa

Cherif Amidou

7.068 habitants

Province de Bailo

Tidiani Dia

8.024 habitants

Province de Tamba

Alfa Mamadou Thiam

6.273 habitants

Province de Missirah

 

5.120 habitants

 

 

37.609 habitants

Les villages exclusivement toucouleurs sont:

  • Dinguiraye et Diambou dans la province de Dinguiraye

  • Bagui et Kotomori, dans le Lafou

  • Missirah, Tamba, Mboné, Boubhere-Torobbhe, Dougoullé dans la Tamba

  • Sabérafaran, Balani-Oumaya dans le Tamba et Foniokountou, dans le Loufa, sont mi-partie Toucouleurs, mi-partie Foula.

La province de Dinguiraye, renferme le plus grand nombre de Toucouleurs, groupés surtout autour de la célèbre mosquée d'Al-Hadj Omar. On y trouve aussi quelques petits groupes de Malinké tidiania; mais le fond de la population est constitué par des Foula de toute origine. Le village de Tinkisso renferme un certain nombre de Sarakollé.
Le Loufa est peuplé de Foula et de Toucouleurs. De forts groupements malinké, originaires de Kolen (Timbo) sont venus s'installer dans le Loufa, tout au long du dix-neuvième siècle, fuyant les exactions des almamys et des chefs Foula.
De belles mosquées ont été édifiées dans les centres relativement islamisés de Loufa, Hansanguéré-Diongolbhe, Doubbhel, Kamban-Massi.
Le Baïlo a pris son nom des Foula Bailo ou Foula errants qui tendent à s'établir dans le pays depuis un demi-siècle et qui ont été étudiés plus haut. Il y a en outre un certain nombre de Diakanké, descendants des tenants antérieurs du sol, mais ils tendent à diminuer; quelques groupements bambara, et d'assez fortes colonies malinké, émigrées du Kollen de Timbo.
Le chef-lieu est Niaria Tinkinsan, gros bourg de
2.000 habitants, création du chef de la province, le Toucouleur Tidiani Dia, dit « Ti Dia ».
Outre les deux mosquées voisines de Niaria Tinkissan et de Totiko, on peut signaler celle de Kansato à l'ouest, et celles de Dar es-Salam et de Fogo au sud de la province. Ces villages, ainsi que ceux de Daragbé et de Bissikrima-Koura, sont animés d'une certaine ferveur islamique.
Le Tamba s'est fortement islamisé depuis un demi-siècle. A Tamba, l'ancienne capitale diallonké et fétichiste de Guimbo Sako, et dont on montre aujourd'hui le tata en ruines et la brèche par où passa Al-Hadj Omar, a succédé comme chef-lieu de la province le centre musulman de Balani-Oumaya, peuplé de Foula et de Toucouleurs et qui possède la deuxième mosquée du cercle.
Al-Hadj Omar avait changé le nom de Tamba, en celui de Dabatou (déformation locale de Taïbata, cité mecquoise). Il emprisonnait ceux qui continuaient à employer le mot fétichiste. La prescription ne tint pas et, à l'arrivée des Français, Tamba a prévalu, mais Taïbatou est aussi employé.
On rencontre dans le Tamba des représentants de toutes les races qui peuplent le Dinguiraye: Foula et Toucouleur prédominant, nombreux Malinké, importants groupements Diallonké anciens maîtres du pays, dispersés aujourd'hui le long du Bafing et même un certain nombre de familles ouolof, descendants des premiers compagnons d'Al-Hadj Omar, surtout à Sabéréfaran. Elles ont toutes perdu l'usage de leur parler ouolof, sauf toutefois dans ce dernier village, et se sont toucouleurisées. A signaler enfin le village sarakollé de Narégala, dont les ancêtres étaient des suivants d'Al-Hadj Omar.
Le Missirah, malgré son nom islamique, est peuplé surtout de Diallonké fétichistes et buveurs. Ils y ont conservé divers villages à enceintes fortifiées: Fighia, Kounda-Daouda, Sangaran. Le commandement n'est pas resté dans les mains de la descendance de Guimba Sakho. Il est passé chez Alfa Alouséni, mort en 1912. Aujourd'hui le frère de ce dernier, Hassana Kamara, n'exerce que le commandement du village de Missirah. La plupart des villages n'ont pas de mosquées ou ont simplement de modestes carrés. La seule mosquée notoire est celle de Soboly, village foula.
On rencontre en outre dans le Missirah de forts groupements malinké.
Koya, sur la rive gauche du Bafing, est une misiide de peu d'importance, sise dans des boowe à demi-désertiques. Elle est peuplée en majorité de Foula. Un seul village de Sarakollé: Balla-Sarakollé.
Enfin, c'est dans le Missirah, à la naissance et sur la rive droite de la Kounda que se trouvait la
misiide de Bagdadïa. Cette Zaouïa, son chef Fodé Kadialiou, et ses Diakanké sont étudiés plus loin, comme relevant de l'obédience de Cheikh Sidïa Al-Kabir. Bagadadïa (ou Bardadïa), vidée de Diakanké, s'est repeuplée, ces dernières années, par des Foula émigrés de divers points du Fouta Diallon.
Foula et Toucouleurs sont musulmans et très fortement islamisés. Les Malinké le sont moins, je veux dire que leur Islam est imprégné d'une multitude de rites fétichistes et de pratiques coutumières qui les font mépriser de leurs coreligionnaires
hal-poularen plus orthodoxes.
Les Foula et les Toucouleurs sont tidiania, relevant de l'obédience d'Al-Hadj Omar. Les Malinké sont qadria, comme d'ailleurs la grande majorité des indigènes de ce peuple dans la Haute-Guinée.
Outre les
Diakanké déjà mentionnés, il reste enfin à signaler quelques groupements Sarakollé: Sakoya, Bala-Sarakollé, Morégala, venus jadis, au temps de la souveraineté Diallonké, chercher fortune dans le Dinguiraye et dont le mouvement d'immigration s'est accentué depuis Al-Hadj Omar.
La ville même de Dinguiraye, dans la province du même nom
1, renferme une population très mêlée de Foula, Malinké et Diallonké, avec une prédominance marquée de l'élément toucouleur. Elle passe toujours pour une ville sainte et lettrée, encore que les Karamoko y aient diminué, et que la population scolaire soit loin d'atteindre le chiffre de 400 élèves qu'on y comptait encore au début du siècle
La
célèbre mosquée y jouit toujours de son prestige bientôt séculaire. Elle est vénérée dans les deux Fouta et dans la région de Kouroussa-Kanlian. Elle est toujours pour ces peuples hal-poularen et malinké la célèbre mosquée de Sékou Omarou et c'est toujours sous ce nom-là qu'on la désigne.


Racine Tall, chef de la garnison
d'Al-Hadj Omar à Koudian

Il y a lieu de signaler à Dinguiraye la présence d'une dizaine de Syriens dont trois ou quatre sont musulmans. Ils n'exercent aucun prosélytisme de prédications ni même d'exemple. Mais tous, catholiques ct musulmans, fils de l'antique Phénicie et commerçants avant tout, vendent des ouvrages arabes à bon marché et de pieuses chromolithographies, et arguent, même quand ils ne le sont pas, de leur qualité de sectateurs du Prophète, pour attirer à eux les chalands locaux.

III
Les personnalités religieuses du Dinguiraye.

  1. Amadou Habibou Tall. — Amadou Habibou, chef de la province et du village de Dinguiraye, est né vers 1868. Son père Habibou était un des fils préférés d'Al-Hadj Omar, qui l'avait nommé son représentant à Dinguiraye. Par sa mère il se rattachait à Mohammed Bello, sultan de Sokoto. Il occupa le poste de Dinguiraye de 1861 à 1868. A cette date, il se révolta contre son frère aîné, Ahmadou Chékou, successeur du grand conquérant, et marcha contre lui à Nioro. Fait prisonnier il devait rester plusieurs années dans les fers et mourir finalement à Ségou.
    Son fils, Amadou, était né à Dinguiraye l'année même du départ de son père. Il y fut élevé et y fit ses études sous la surveillance de son oncle Aguibou, puis fut utilisé par Maki Tall, alors chef du pays, comme conseiller et ministre.
    Il eut d'ailleurs plusieurs fois des démêlés avec lui, ainsi qu'avec les chefs des autres branches omariennes, tous se jalousant et se disputant l'autorité.
    Il fut compromis dans les menées de Maki Tall en 1899 et envoyé en résidence obligatoire à Siguiri. Il y resta jusqu'en 1904. A cette date, il put rentrer à Dinguiraye sur la pétition des notables du cru et s'y tint parfaitement tranquille, cultivateur, notable et marabout.
    Lors de la reconstitution du commandement dans le Dinguiraye, on songea à lui, en raison de la grande influence dont, comme petit-fils d'Al-Hadj Omar et fils d'un ancien du pays, il jouit tant sur les Toucouleurs que sur les Foula. Il fut même question de restaurer l'ancien état de Dinguiraye et de lui en confier la souveraineté protégée. Cette erreur ne retint heureusement pas longtemps l'attention. Le Dinguiraye fut partagé en cinq grandes provinces, et Amadou Habibou reçut le commandement de la province proprement dite de Dinguiraye, centre de la région et chef-lieu du nouveau cercle. Il occupe cet emploi depuis le 14 décembre 1919.
    Amadou Habibou est aujourd'hui un homme d'une cinquantaine d'années, corpulent et assez apathique. Il est loin d'être un lettré; son instruction islamique est à peu près nulle, sa qualité de descendant du grand marabout lui assure pourtant un grand prestige maraboutique.
    Amadou Habibou a plusieurs enfants. L'aîné, Madani, né vers 1905, suit les cours de l'école française de Dinguiraye; les autres sont encore en bas âge. Une de ses filles, Néne Haoussa, est mariée avec l'interprète de Tougué, Saïdou Sô, Toucouleur; une autre, Kadidiatou Koubra, a épousé Karamoko Ann, dioula toucouleur, et petit-fils par sa mère d'Al-Hadj Omar.
    Il jouit d'une certaine fortune, malgré les pertes qu'il a subies à la libération des captifs. Il possède de beaux troupeaux de boeufs.

  2. Amadou Tidiani. — Amadou Tidiani est d'origine toucouleure. Il est né vers 1870 à Kouniakari près de Nioro-Sahel où son père Demba, dioula du Boundou, était venu commercer. Lui-même a beaucoup voyagé et de Dinguiraye et de Bissikrima comme centres, rayonne dans toute la Guinée et jusqu'à Dakar, pour vendre des boeufs.
    C'est un Karamoko instruit et ouvert qui, à l'occasion, est utilisé comme écrivain d'arabe au bureau du cercle de Dinguiraye.
    Il a reçu le
    wird tidiani d'un Chérif maure du Sahel, installé à Nioro, Chékhou Ould Sidi, qui était lui-même disciple d'Amadou Sékou, fils d'AI-Hadj Omar.

  3. Moktar Tall. — Moktar Tall est un Toucouleur né vers 1860 à Dinguiraye. Il est chef du village de Bissikrima depuis 1914. C'est un bon lettré. Sa famille est originaire d'Aloar, lieu de naissance d'Al-Hadj Omar. Son père, Ousman Tall, en partit vers 1850 pour venir chercher fortune à Dinguiraye auprès de son compatriote qui réussissait si bien. Le frère de Moktar Mostafa Tall, ancien boutiquier, est marié avec une fille d'Amadou Habibou, chef du Dinguiraye. Il sert d'auxiliaire à son frère à Bissikrima.

  4. Chérif Hamidou. — Chérif Hamidou, chef de la province de Loufa, est l'un des personnages maraboutiques les plus en vedette de Dinguiraye. Il est d'origine chérifienne par la branche marocaine.
    Son grand-père, Mohammed Lamine, fils de Sidi, était venu de Fez dans le Fouta Toro, à la fin du dix-huitième siècle. Au cours d'un séjour à Matam, il épousa une femme toucouleure. Sur le tard, vers 1830, pris de nostalgie, il repartit pour le Maroc, la laissant enceinte. Il mourut sur le chemin du retour, près d'un puits saharien non déterminé.


Chérif Hamidou

Son fils posthume, Abdoulaye, naquit vers 1830. Avec l'âge, il se para, comme fils de blanc, du titre de Chérif. Ce fut le Chérif Abdoulaye. Il vécut dans le Toro central, à Tchilogne et à Ley-Bosseya, et mourut à Dounga, en 1911.
Il fut enterré à Céde Abbas, où l'on montre son tombeau. Des nombreux enfants qu'il laissa et qui vivent et prospèrent dans le Bosséa, celui qui nous intéresse, Chérif Hamidou, est né en 1864 à Diollol (Matam). Il a fait de bonnes études auprès des marabouts toucouleurs du Fouta Toro, puis alla les compléter et chercher sa voie à Ségou auprès d'Ahmadou Sékou (1885). Vers 1889, quand les Français entrèrent à Ségou, il prit la fuite, et vint chercher fortune dans le Dinguiraye auprès de l'almamy Aguibou. Il y ouvrit une école et fut bientôt par son savoir, et son entregent un des marabouts officiels de la région. Sous Aguibou déjà, et plus complètement sous Maki Tall, il est un des conseillers de l'almamy, un des ulémas en titre du régime. Maki le chargea même, pendant deux ou trois ans, de commander un groupe de villages, mais ce premier essai d'administration ne réussit pas.
A la déposition de Maki Tall (1899), Chérif Hamidou fut utilisé comme cadi et écrivain d'arabe par l'autorité française. Il occupa cette place pendant douze ans et y rendit par ses connaissances juridiques, par sa souplesse affinée et par son intelligence et son expérience des choses locales, des services distingués.
Lors de la réorganisation du Dinguiraye, Chérif Hamidou fut placé à la tête de la province de Loufa (14 décembre 1911). Il exerce toujours ces fonctions et s'acquitte de son service de la façon la plus satisfaisante.
Chérif Hamidou jouit dans tout le Dinguiraye d'un prestige maraboutique considérable, non seulement dans l'élément toucouleur qui le considère comme un des siens, mais encore sur les Foula et les Malinké. Il est aussi très connu dans le Fouta-Diallon oriental.
C'est un lettré arabe et un savant musulman de valeur. Ses fonctions de chef de province lui interdisent aujourd'hui de prêcher et de professer, mais il a toujours de nombreux talibés. Très intelligent, il a compris la nécessité de pouvoir se passer d'intermédiaire avec l'autorité et il s'est mis à l'étude du français, qu'il parle et comprend quelque peu.
Installé à Mansaréna, chef-lieu de Loufa, Chérif Hamidou il est aujourd'hui un homme d'une cinquantaine d'années, lourd et grave, plus Karamoko avec ses lunettes et sa face amène que chef à la toucouleure. Il a de nombreux enfants. Les fils, qui sont tous passés par l'école française, sont: Amadou Chérifou, né vers 1888, intelligent et ouvert, représentant de son père auprès de l'administrateur à Dinguiraye Maki Chérifou, né vers 1895, Khalifa de son père dans l'administration de la province; Aguibou Chérifou, né vers 1899, élève à l'école française de Conakry. Ses filles sont mariées à des cultivateurs et notables toucouleurs de Dinguiraye.
Chérif Hamidou est tidiani de la voie omaria. Il a été affilié par Al-Hadj Saïdou, Toucouleur du Toro (village de Heddi) qui lui-même reçut le
wirdd'Al-Hadj Omar à Matam. C'est Al-Hadji Saïdou qui lui a conféré aussi les pouvoirs de moqaddem consécrateur.
Le principal talibé de Chérif Hamidou est Ba Gouraisi (déformation locale de Qorcioni), qui est né vers 1875 à Ségou. Son père, Ousman Tall, était le frère d'Al-Hadj Omar. A l'entrée des Français à Ségou, il prit la fuite et se réfugia à Dinguiraye auprès d'Aguibou. Il se consacra au commerce où il est passé maître. C'est un des dioulas en vogue du Fouta, et de ce fait, encore que son instruction islamique soit à peu près nulle, il a su répandre avec adresse son influence personnelle.
Il a des disciples disséminés dans toute la région.
Les principaux sont:
Abidou, né vers 1855 ex-Karamoko, et qui a fermé son école, depuis qu'il a été nommé chef de Marégala (Tamba).
Un petit groupement à Kansato (Bailo).
Un petit groupement à Kalinko (Bailo).
Parmi les disciples qu'il compte dans le Fouta, les plus en vue sont:
Alfa Aliou, chef de Niagara (Timbo) et fils du grand Modi Diogo, chef du Teekun Modi Maka ou premier groupe des gens de Timbo. Il a reçu le wird au cours d'un des voyages de Baba dans le Timbo.
Parmi les autres disciples de Chérif Hamidou on peut citer Saidou Paré Sara, Bambara, né vers 1880, cultivateur de Dinguiraye.
Mabi Djeli, Bambara, né vers 1880, cultivateur et griot réputé à Dinguiraye.
Fafa Koita, Bambara, né vers 1878, cultivateur à Dinguiraye.
Soulèye Labbo, Toucouleur, tailleur à Dinguiraye.
Mamadou Kamara, et Fodé Kamara, Malinké, cultivateurs à Santiguia (Loufa).
Billo Djeli, Malinké, chef griot et cultivateur à Semounoko (Loufa).
Tierno Doura Mali, Foula, cultivateur à Tetiko (Loufa).
Chérif Hamidou possède en outre un grand nombre talibés de moindre importance, connus et même inconnus, auxquels il a distribué le
wird.

  1. Alfa Mamadou Thiam. Alfa Mamadou Thiam, chef de province de Tamba, est d'une famille maraboutique qui jouit d'un grand prestige dans le Dinguiraye.
    Son arrière grand-père, Tierno Demba, était d'origine wolof, du Diolof même. Il vint dans le Fouta à la fin du dix-huitième siècle et s'installa à Moggo Hayre dans le Damga (Matam). Il y est enterré.
    Un de ses fils, Tierno Ahmadou, lui succéda à la tête de son école coranique, et devenu Toucouleur, acquit un certain prestige parmi ce peuple. Il fut enterré à côté de son père.
    Ce fut son fils, Tafsirou Aliou, né à Moggo Hayre, vers 1840, qui lui succéda. Il fit ses premières études dans le Fouta Toro, vint les compléter à Saint-Louis où il fut quelque temps planton au Gouvernement du Sénégal, passa quelque temps dans le Moakol (Cayor) auprès de Tafsirou Moktar Diop qui lui enseigna la théologie et le droit, et finalement rentra dans le Fouta Toro, vers 1860. Il le suivit dans la plupart de ses pérégrinations, et s'établit en dernier lieu dans le Dinguiraye, à Tamba. Tafsirou Aliou a fait une carrière maraboutique des plus remarquables.
    Il était un des deux disciples à qui Al-Hadj Omar avait donné le pouvoir de conférer son
    wird dans le Dinguiraye.

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